Le journal étudiant « Le délit », à l’Université McGill, rapporte dans son édition du 26 janvier qu’un malaise existe dans cette institution par rapport à l’utilisation de certains mots que peuvent employer des professeurs en classe ou qui se retrouvent dans certaines œuvres. Des enseignants dénoncent le peu d’appui qu’ils reçoivent de l’institution pour défendre leur liberté académique.
Cette situation a été notamment alimentée par une controverse qui a eu lieu l’automne dernier au département de littérature française et traduction. Une chargée de cours fait lire le livre « Forestiers et Voyageurs », de Joseph-Charles Tâché, écrit au 19e siècle. Cette œuvre contient le mot « nègre » et ainsi que l’appellation «sauvage » pour désigner les autochtones, mots à utilisés couramment à l’époque. Il n’en fallait pas davantage pour que des étudiants questionnent en classe le choix fait par la professeure. Lors de la discussion, celle-ci a le malheur de prononcer le mot « nègre » en référence à son utilisation dans le livre. Le terme lui échappe car elle emploie normalement l’expression politiquement correct « mot en n ». Elle se confond immédiatement en excuses mais cela n’empêche pas au moins deux étudiants de porter plainte.
La direction de l’université, au lieu de la défendre, lui suggère de donner l’option aux étudiants de ne pas lire le livre. Or ce n’est pas à la direction de se mêler de ça ni aux étudiants de décider ce qu’ils liront ou pas. Si je donnais un cours de littérature africaine et antillaise, je ferais certainement lire à mes élèves le livre de Léopold Sédar Senghor, « Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française ». On y retrouve des poèmes, dont plusieurs en créole, par exemple sous la plume du Martiniquais Gilbert Gratiant. Dans « La petite demoiselle », une ode à la beauté des femmes de son pays, ce dernier utilise le mot négresse, qu’il fait rimer avec caresse, mulâtresse et bekées, terme qui dans les Antilles fait référence aux femmes créoles blanches descendantes de colons européens.
Outre la prose magnifique qu’on y découvre, le livre de Senghor est important en raison du contexte de sa publication en 1948. A l’époque de l’esclavage et même après, certains prétendaient que les Noirs étaient incapables de produire de la littérature, un peu à la manière de Lord Durham qui disait que les Canadiens français constituaient un peuple sans histoire et sans littérature. Senghor, qui a connu cette époque quand il était jeune, a donc décidé de rassembler dans un livre la poésie écrite par des Noirs. Sa publication se voulait un démenti aux théories racistes qui prétendaient que cette littérature était inexistante.
Dans le contexte qui prévaut à McGill, on peut penser que la lecture de cet ouvrage dans un cour provoquerait une tempête. Parions que plusieurs professeurs, conscients de son importance, n’oseraient pas le faire lire à leurs étudiants, sachant qu’ils n’auraient aucun soutien de leur direction.
Ce genre de situation est inacceptable et dure depuis trop longtemps. Je crois qu’il est temps que les universités se dotent de politique claire pour défendre la liberté académique. Si elles n’en ont pas le courage, le gouvernement devrait leur forcer la main.
L’université de Leicester vient de renoncer à tout enseignement de la littérature anglaise antérieure au XVe siècle pour se concentrer sur « la race, l’ethnicité, la sexualité et la diversité » ; bref, sur un « programme décolonisé ». Une funeste victoire de la cancel culture. Notre civilisation, depuis la Grèce, s’est construite sur l’idée que nous devions nous mettre à l’école de notre passé pour aller de l’avant. Nous larguons cet héritage pour nous tourner vers une nouvelle ère barbare. François Ricard
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