La surenchère inclusive...
Le Québec est-il prêt pour un premier ministre homosexuel, une première ministre noire, une femme à la présidence de la Caisse de dépôt, un gabonnais à la présidence du PQ, une transgenre à tête de la Fédération des femmes, des comédiens racisées dans des premiers rôles, à reconnaître que nous squattons des territoires amérindiens non cédés, à accueillir plus de réfugiés, à respecter toutes les religions, etc. Chaque jour nous amène son cortège de prêcheurs qui font preuve de surenchère de vertu dans leur croisade pour défendre les droits des femmes, des noirs, des musulmans, les Amérindiens, des Juifs (moins toutefois), des anglophones, des personnes différentes, des immigrants, etc.
Ce sont les nouveaux curés, et comme les anciens, ils sont emmerdants parce qu'ils voient du mal partout. Personnellement, cela m'irrite et je pense que ça produit chez beaucoup une sorte d'effet contraire.
Il ne fait aucun doute que notre époque se caractérise par une explosion de la diversité et, en conséquence, une remise en question sans précédent des identités collectives et des codes de normalité. Et il est non moins évident que nous devons tous, individuellement et collectivement, apprendre à nous ouvrir à cette diversité, à briser nos préjugés, à combattre les discriminations de toutes sortes et à intégrer le plus adéquatement possible cet humanisme universaliste. Nous avons d'ailleurs fait des pas de géant au Québec sur ce plan, ces dernières années. Les jeunes et les Montréalais nous y poussent d'ailleurs. Mais cette nouvelle réalité n'abolit pas pour autant la distance entre le natif et l'étranger, le résident et le nouveau venu, Eux et Nous, tout comme elle n'annule pas la situation de fragilité dans laquelle se trouve plus que jamais l'identité et la nationalité québécoises dans le contexte actuel de la mondialisation et du multiculturalisme canadien.
La surenchère vertueuse et intransigeante à laquelle on assiste se trompe, il me semble, à plusieurs égards.
Pour tout dire, ces inclusifs obsessifs ont la déplorable habitude de tout exagérer; or, trop, c'est comme pas assez.
D'abord, en se présentant d'emblée comme critère de vertu face à tous, ces prêcheurs posent un jugement blessant sur nous, collectivement, nous accusant ni plus ni moins de racisme, machisme, islamophobie, colonialisme, etc. En déclarant toutes ces minorités victimes racisées ou ostracisées, sans nuances, ils exagèrent et simplifient à outrance la réalité, ce qui est une forme indiscutable de mépris du peuple.
Mais surtout, j'ai le sentiment que cette façon d'agir ne tient pas compte de la nature même des relations humaines et sociales. Il est normal que la diversité, la différence, la nouveauté, surprennent dans un premier temps. L'étonnement, la méfiance et l'interrogation face aux nouveaux venus ou à ceux qui sont différents de nous ne sont pas des signes automatiques de racisme ou de rejet. Il faut un temps pour apprivoiser la diversité, la reconnaître, l'apprécier et surtout l'intégrer. On sait tous reconnaître un visiteur effronté qui s'impose chez soi. Il est normal que je me demande si je me sens à l'aise d'avoir une femme haïtienne d'origine comme première ministre, si elle est suffisamment intégrée au Québec pour nous représenter et en prendre la direction, comme je le ferais d'ailleurs pour n'importe qui, mais d'autant plus pour quelqu'un qui n'a pas un long vécu ici. Je ne partage pas l'opinion de Webster entendue ce matin qui s'en scandalise, estimant que le seul fait de poser la question indique qu'il y a un problème.
Ces vertueux, justement, font trop souvent l'économie d'une véritable connaissance de cette diversité: ils en font une cause. Or la vertu et l'idéologie sont mauvaises conseillères et peu nuancées.
Cela me frappe particulièrement dans l'attitude envers les Premières nations. On veut tellement se montrer ouvert et repentant face aux Autochtones qu'on oublie des données essentielles à respecter si nous voulons faire progresser nos relations avec eux. Le Chef Ghislain Picard dénonçait récemment ces groupes autochtones urbains qui s'inventent des appartenances et des rituels autochtones et s'autoproclament défenseurs des « territoires non cédés » des Autochtones alors qu'il n'ont aucun lien d'appartenance à une quelconque communauté autochtones réelle. Ils n'ont surtout aucune notion de ce que veut dire traiter de nation à nation avec eux, respecter leur droit à l'autodétermination et s'inscrire dans les ententes conclues à ce chapitre par le Québec, qui sont à bien des égards uniques au Canada. Et je note le même travers dans beaucoup de causes chères aux inclusifs diversitaires. « Nous n'avons pas besoin de votre pitié, disait récemment la chanteuse inuit Élisapi, mais que vous restiez vous-mêmes et que vous nous respectiez. »
Cette façon de travestir et instrumentaliser la diversité et les différences nuit plus qu'elle ne rend service à mon avis; elle discrédite les causes concernées et provoque souvent une réaction contraire qui nous éloigne du but, nous divise au lieu de nous rassembler.
Les Québécois ne sont pas fermés ni bornés : laissons-leur le temps et la possibilité d'apprivoiser la diversité contemporaine. Ils en ont vu d'autres, ayant été soumis, tout au long de leur histoire , à toutes les pressions géopolitiques de l'Amérique coloniale. La société québécoise est une des sociétés les plus égalitaires et solidaires en Occident. Elle est encore capable de faire preuve d'adaptation et d'ouverture.
Mais de grâce, laissez-nous souffler un peu!
(La fontaine des Abénaquis devant notre Assemblée nationale)